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Nasreddine Hodja : contes absurdes et sagesse du monde arabe

8–12 minutes

Tout savoir du Fou qui était Sage, personnage omniprésent dans les contes traditionnels arabes

Connaissez-vous le Fou qui était Sage ? Si vous êtes amateur de contes, alors il est très probable que vous ayez déjà entendu parler de Nasreddine Hodja. Il est le personnage principal de blagues philosophiques qui se racontent depuis des siècles du Maghreb en Asie, en passant par le Moyen-Orient. On le surnomme le Fou qui était Sage parce qu’il est tantôt idiot, tantôt érudit selon les situations. Les histoires qui le mettent en scène sont satiriques, irrévérencieuses, voire coquines pour certaines. Mais si elles sont empreintes d’un humour absurde, ces blagues comprennent quasiment toutes une interprétation plus profonde. C’est ce qui a valu la classification de Nasreddine au Patrimoine Mondial immatériel de l’UNESCO en 1996 : ses récits ont pour but de transmettre les enseignements de la sagesse orientale, d’une manière ingénieuse et subtile. Aviez-vous déjà entendu parler de Nasreddine Hodja ? Envie de découvrir ses histoires, et d’où elles viennent ? Si oui, plongez avec moi au cœur d’une culture orientale vieille de plus de 8 siècles.

Nasreddine Hodja : le Fou qui était Sage

Le personnage et ses origines

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Auteur inconnu — Topkapi Palace Museum Library Cat. No. 2142 – Crédit photo : Wikipedia

Nasreddine Hodja est un personnage très célèbre, présent dans les contes du Maghreb en Asie, en passant par le Moyen-Orient. On dit qu’il aurait réellement existé, mais il est difficile de le prouver. D’autant que les sources varient ! On situe ses histoires entre le VIIIe et le XVe siècle, malgré quelques anachronismes. Selon certains, il serait né en 1208 en Irak et mort en 1284 en Turquie. Il y aurait vécu toute sa vie, dans le village d’Aksehir. Cependant, deux tombes existent à son nom : une en Turquie, l’autre en Algérie !

Il serait fils d’imam, et marié à une certaine Khadija. Un autre personnage récurrent est son âne, fidèle compagnon de ses aventures absurdes. Selon les situations, Nasreddine est présenté comme un philosophe, paysan, pauvre, religieux, érudit ou conseiller du tyran Timour Lang. Aussi connu sous le nom de Tamerlan, ce dirigeant est pourtant né au XIVe siècle, presque 100 ans après la mort supposée de notre Fou qui était Sage. Détail paradoxal, le nom Hodja est un titre donné aux maîtres des écoles coraniques. C’est une attribution étonnante, quand on connaît ce personnage…

Profil du personnage

Nasreddine Hodja est un personnage ambivalent et paradoxal. Faux naïf, il prodigue des conseils tantôt absurdes, tantôt ingénieux. Dans les contes, il paraît niais, mais se révèle habile, dupe ses contemporains sans hésiter et se garde bien souvent de suivre les enseignements qu’il donne. Il est représenté comme avare, menteur, roublard, lâche et égoïste, mais aussi sage, juste, et prompt à aider le plus faible par les capacités de son esprit très à-propos. Nasreddine est un reflet de l’être humain dans ses défauts comme ses qualités, et c’est pourquoi il est attachant. Il est connu notamment pour adopter un comportement apparemment illogique face aux situations qui se présentent à lui. Cependant, ses manières d’agir sont à interpréter et cachent souvent un enseignement. La vie lui apparaît absurde, et il adapte son comportement à cette absurdité.

« Un jour, Nasreddine se promenait avec un magistrat et un imam. Ce dernier lui posa alors une question : 
« Dis-moi Nasreddine. Tu agis souvent comme un complet idiot et pourtant tu es capable de te transformer en un érudit reconnu l’instant d’après. Je m’interroge sur ta nature !  » 

Le magistrat renchérit : 

« Moi aussi j’aimerais savoir qui tu es ! Un sage, ou bien un idiot ?  « 

Nasreddine leur répondit :

Cela dépend ! En ce moment je peux simplement vous dire que je me trouve juste entre les deux. »

La morale des contes sublimée par l’humour absurde

Contes moraux et humour absurde

La compréhension du monde par le rire

Nasreddine Hodja est le protagoniste d’histoires courtes, absurdes et parfois même coquines, qui ont pour beaucoup une visée de transmission d’une morale. En effet, on sait notamment que les soufis usaient de ces contes pour enseigner il y a quelques siècles. Connu pour avoir compilé des histoires de Nasreddine Hodja, l’universitaire Idries Shah les décrit comme suit : « C’est inhérent à l’histoire de Nasreddine qu’elle puisse être comprise à tous les niveaux. Il y a la blague, la morale et le petit plus qui amène la conscience du mystique potentiel un peu plus loin sur le chemin de la réalisation. » Le but de ces récits n’est pas forcément de rire, mais aussi de comprendre nos comportements et examiner notre monde sous d’autres angles. Nasreddine invite donc au bousculement de la pensée conventionnelle.

Les thématiques abordées

Ses histoires passent alors de la narration enfantine à la réflexion sérieuse, pour aborder des thématiques comme la paresse, l’étroitesse d’esprit, la gourmandise, les privilèges de classe, le destin de l’homme, les mystères de l’existence, ou l’injustice sociale comme dans cette histoire :

Un jour, arriva sur la place du village un mendiant. Affamé, il n’avait pas mangé depuis trois jours et n’avait qu’un maigre quignon de pain à se mettre sous la dent. Ce n’était pas bien appétissant, et c’est pourquoi il se dirigea vers le souk pour essayer de s’inspirer en contemplant les étals de nourriture. C’est alors qu’il s’arrêta face à l’étal d’un marchand qui faisait rôtir de la viande. À peine le fumet avait atteint ses narines qu’il lui avait mis l’eau à la bouche, et le mendiant se dit que s’il mettait son pain au-dessus du fumet de viande, il y aurait peut-être une chance qu’il prenne un peu de goût et soit alors plus agréable à manger. Il joignit le geste à la pensée.

Malheureusement, lorsqu’il reprit son morceau de pain, le marchand l’interpella et exigea qu’il paie.

« Que veux-tu que je te paie ? Je n’ai pris que le fumet de ta viande !

Cette viande est à vendre, et son fumet aussi. Paie-moi. » 

Pour trouver une solution à leur différend, le marchand et le mendiant furent conduits chez Nasreddine. Ils lui exposèrent leur problème, le sage réfléchit un instant et tira une pièce de sa poche qu’il fit tinter sur la table.

« Marchand, tu as entendu le bruit qu’a fait cette pièce contre la table ?

Ma foi, oui. 

Prends-le. C’est le juste prix du fumet de ta viande. » 

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Statues de Nasreddine et son âne.  Samarcande, Ouzbékistan. – Crédit photo : Wikipedia

Structure de ses histoires

Les histoires de Nasreddine Hodja suivent une structure bien souvent similaire :

  • Exposition de notre protagoniste à une situation initiale (quotidienne, parfois triviale) et confrontation à un ou plusieurs interlocuteurs. 
  • Cette confrontation aboutit à une situation de conflit ou de déséquilibre 
  • La situation est résolue par une chute inattendue, surprenante ou absurde. C’est souvent à ce moment de l’histoire que Nasreddine brille par ses paroles. 

« Les anciens du village essayèrent un jour de résoudre une question : si le fleuve prenait feu, où donc les poissons pourraient-ils s’enfuir ? Après de longues délibérations, ils allèrent consulter Nasreddine. Celui-ci, après les avoir écoutés, s’écria : « Pourquoi vous inquiétez-vous ? Si vraiment le fleuve prenait feu, les poissons pourraient grimper dans les arbres. »

Ainsi, ce n’est pas tant le personnage de Nasreddine qui importe mais le message transmis par son histoire, et le bouleversement qu’il induit par ses actions. C’est pour cela qu’il est souvent relié à l’archétype littéraire du fripon.

Le personnage du fripon dans la culture arabe

Archétype du fripon

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Nasreddine Hodja, auteur inconnu. Non daté – Crédit photo : Fine art images

Les histoires de Nasreddine Hodja invitent à remettre en question la pensée conventionnelle pour s’élever soi-même. Notre protagoniste est un fou qui défie les croyances populaires par son esprit. Jouant sur le fil du rasoir entre le rationnel et l’absurde, son ambivalence rappelle l’archétype du fripon. Ce personnage mythologique présent dans toutes les cultures a été théorisé comme archétype de la psychologie humaine par le psychanalyste Carl Jung. Quelle que soit son origine, le fripon est un personnage à la fois bon et mauvais. Il est générateur de chaos et donc briseur de tabous tout autant que de l’ordre établi. Le fripon est souvent présenté avec un goût très marqué pour la ruse, les farces et les escroqueries. Parmi les figures les plus connues, on peut citer :

  • le Corbeau dans les anciennes croyances mythologiques européennes,
  • Goupil le Renard en France, 
  • Anansi Fauteur de troubles dans le folklore d’Afrique de l’Ouest, 
  • Loki dans la mythologie nordique, 
  • Ou encore le Coyote dans les contes amérindiens par exemple. 

La sagesse par l’absurdité

Nasreddine Hodja est souvent relié à l’archétype du fripon. Comme lui, ce genre de personnage se situe à la frontière du conventionnel et de l’absurde, exposant les limites de la pensée conventionnelle. Dans son livre Trickster Makes This World, l’universitaire Lewis Hyde définit le fripon comme un rôle amené à perturber les catégories de vérité établies pour ouvrir la voie à de nouveaux mondes possibles. Pour lui, le fripon représente l’impulsion salutaire de transformation, essentielle pour sauver les sociétés de la stagnation ou de la complaisance. Il agit de manière absurde certes, mais pour créer un nouvel ordre à partir du chaos.

Dans le monde musulman, on peut citer un personnage de ce type présent dans le Coran. Al Khidr est décrit dans la sourate Al-Kahf (la caverne). Moïse le rencontre dans l’espoir d’atteindre la connaissance divine. Il est prévenu de ne rien remettre en question de ce dont il sera témoin, et accepte. Il n’y arrive pas lorsqu’il observe Al Khidr saborder leur bateau, tuer un jeune homme et réparer un mur dans une ville qui leur avait refusé l’hospitalité. Il quitte alors Moïse, mais s’explique avant : le bateau allait être saisi par un monarque tyrannique, le garçon allait opprimer ses parents, et le mur cachait un trésor appartenant à des orphelins. Le message de Khidr est aussi celui de Nasreddine Hodja au travers de ses histoires. Les actions qui paraissent absurdes au premier abord peuvent avoir une sagesse cachée, ce qui nous montre qu’il existe en ce monde certaines formes de connaissance qui ne sont pas directement accessibles. Pour les découvrir, il faut apprendre à remettre en question les codes, faire preuve de tolérance et d’ouverture d’esprit !

Les histoires de Nasreddine Hodja ont été traduites dans des dizaines de langues, et sont aujourd’hui connues internationalement. Que ce soit en Ouzbékistan, au Maroc en passant par l’Europe, des conteurs de toutes les nationalités continuent toujours de transmettre ces courts témoignages de la sagesse traditionnelle arabe. Ainsi, le Fou qui était Sage est nommé Nasrettin Hoca en turc, Afanti en Chine, Djeha au Maghreb ou encore Mullah Nasruddin en Afghanistan. Mais pourquoi ce personnage résonne-t-il si fort à travers le monde ? La réponse est simple : le Hodja est un reflet fidèle de l’être humain, dans sa beauté et sa bêtise ! Porteur de tous nos défauts révélés au grand jour, il sublime les enseignements qu’il nous apporte par cette absurdité qui bouscule la pensée conventionnelle. Et qui de mieux placé que notre propre miroir pour nous apprendre qui nous sommes, afin de devenir meilleurs ?

Sources

Djeha, Ch’ha, qui est le personnage ? – Site de Harissa 

La tradition du récit des anecdotes de Nasreddin Hodja – Site du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO 

Nasreddin Hodja 12 histoires – Blog Graine de Stambouliote 

Les histoires de Nasreddine – Site de la Maison des Arts de la Parole 

Nasreddin Hodja : l’archétype du fripon dans le folklore musulman – Site de Middle East Eye en français 

Les contes facétieux – Ressources du site Une sorcière m’a dit 

Nasreddin Hodja – SIte de Wikipédia 

Histoires de Nasreddine Hodja – Site du conteur Fabien Delorme 

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