Existe-t-il une forme de paganisme dans les pays de l’Est ?
Lorsqu’on pense aux croyances des peuples slaves et caucasiens, la religion chrétienne nous vient spontanément en tête. Et il est vrai que les russes, ukrainiens, moldaves, biélorusses ou encore géorgiens sont en grande majorité orthodoxes. Cette église est d’ailleurs très implantée dans cette région du monde, et compte beaucoup de fidèles pratiquants.
Pourtant, la question est plus compliquée qu’il n’y paraît. Cette région du monde compte aussi de grandes communautés musulmanes, comme en Tchétchénie par exemple. Si le panthéon divin pré-chrétien a en grande partie été perdu lors de l’évangélisation de la Russie, quelques traces des anciennes croyances subsistent. Les origines de certains festivals, fêtes religieuses, contes et superstitions diverses sont parfois plus surprenantes qu’on ne le croit !
Les slaves et caucasiens dénombrent par ailleurs des communautés païennes, notamment en Russie. Certains de ces groupes sont d’ailleurs très surveillés, pour leurs idées d’extrême-droite flirtant avec le néo-nazisme. Saviez vous que le chamanisme était russe ? Quelle est la spiritualité païenne slave ? Suivez-moi pour un petit tour d’horizon des spiritualités inhabituelles en Russie et alentour…
Le chamanisme est réellement d’origine russe ?
Le saviez-vous ? Le chamanisme est d’origine russe ! En effet, s’il existe des pratiques similaires dans de très nombreuses cultures, le mot chaman vient de la langue toungouse, un peuple autochtone de Sibérie.
Le chamanisme, c’est quoi ?

On en entend beaucoup parler des croyances anciennes de nos jours, car elles font l’objet d’un grand intérêt en occident. Mais dans ce grand bouillon de spiritualités néo-païennes teintées d’un désir profond de reconnexion à la terre, qui peut aujourd’hui définir concrètement ce qu’est le chamanisme ?
Le chamanisme est basé sur un système de croyances animiste : il existerait un esprit qui habiterait chaque chose. Selon cette spiritualité, le monde est partagé entre celui des hommes et des esprits, qui doivent cohabiter dans une harmonie préservée. Le chaman, lui, se trouve entre les deux mondes.
Le rôle du chaman ou de la chamane est de maintenir l’équilibre dans l’ordre du monde. En atteignant des états modifiés de conscience, par la transe notamment, il lui est possible de percevoir et interagir avec les esprits et le monde spirituel, et d’en canaliser les énergies pour servir sa communauté. Ainsi, on peut faire appel à un chaman pour des raisons très diverses : maladie, conflit, conseil, demande d’une faveur aux esprits…
D’où vient le chamanisme ?

Comme je l’évoquais, la terre natale du chamanisme est la Sibérie. Il y est d’ailleurs encore très vivace. Divers peuples de cette région vivent encore au diapason de cette spiritualité en accord avec la nature. Pour citer quelques exemples :
- Les Soïotes sont un groupe ethnique de Sibérie ;
- Les Toungouses sont un groupe d’ethnies qui se retrouvent notamment en Russie. Cette dénomination vient de leur présence dans la vallée de Toungouska. Ils comprennent les peuples Evenks et Evenes (Lamoutes) par exemple ;
- Les Samis ou Sames sont un peuple autochtone qui couvre une zone comprise entre le nord de la Suède, de la Norvège, de la Finlande et la péninsule de Kola en Russie ;
- Les Nganassanes sont une ethnie samoyède du nord de la Sibérie centrale, situés dans le Kraï de Krasnoïarsk.
Ces peuples entretiennent un mode de vie basé sur cette spiritualité en accord avec la nature, où les chamanes tiennent un rôle très important. Ce statut peut être assuré autant par une femme que par un homme, et se transmet notamment en famille, de mère en fille ou de père en fils. Les rites pratiqués par les chamans se basent sur des chants, chants diphoniques et psalmodies qui imitent des sons naturels.
Les Soïotes imitent par exemple des oiseaux ou le cri des loups pour incorporer l’esprit qui viendra en aide au chaman. Les séances des chamanes Nganassanes peuvent comprendre des chants de femmes qui pourront comprendre l’imitation du cri de jeunes rennes, dans le but de favoriser la fertilité.
Le réveil de la foi païenne slave : entre sacralisation de la terre et dérives néo-fascistes
L’héritage païen russe

Lorsqu’on parle de la Russie, il ne faut pas oublier qu’on évoque un territoire immense. Il existe une très grande différence entre les villes et les campagnes, entre Moscou et la Sibérie, et ce sur beaucoup de points. Si l’élite se concentre dans les villes, le reste du pays compte un grand nombre de travailleurs de la terre, ouvriers et paysans. On pourrait presque se dire qu’on a affaire à deux populations distinctes, du point de vue de la culture, des moeurs et des croyances.
Le peuple russe a conservé un certain nombre de croyances issues des traditions païennes jusqu’à récemment, alors que l’élite est instruite à l’occidentale et majoritairement orthodoxe. Les premiers sont motivés par la tradition, et une vision spécifique du monde qui compte des éléments pré-chrétiens, longtemps demeurés vivants dans leur foi. Georges Fedotov évoquait les “traits slavo-païens de l’âme russe”, constitutifs de leur identité.
Alors quels sont-ils, ces traits ? L’Est a été christianisé très tôt, et l’ancien panthéon divin a été en grande partie perdu. On retrouve aujourd’hui peu de sources qui nous permettent de le reconstituer. En revanche, le polythéisme a survécu longtemps par la croyance en l’intercession des saints par des rites spécifiques, comme une sorte de double foi. Et surtout, les russes ont longtemps gardé une profonde croyance en la puissance et la sainteté de la Terre. Cette vision d’une matrice pourvoyeuse d’abondance avec laquelle nous nous devons de vivre en harmonie, c’est peut-être l’élément païen qui a le plus caractérisé la foi russe.
Le réveil de la foi et ses dérives politiques

Crédit photo : Wikipédia.
Cette foi paysanne s’est peu à peu perdue vers le milieu du XXe siècle, avec l’urbanisation de la Russie. Mais dès les années 1960, on observe l’émergence de groupes païens qui prônent une volonté de se “reconnecter avec la véritable foi russe”. Jusqu’à aujourd’hui, on compte des communautés Védiques ou Rodnovériennes, qui pratiquent une spiritualité reconstituée, et revendiquent une recherche de leurs racines culturelles slaves.
Le problème, c’est qu’un certain nombre de ces groupes usent du néo-paganisme pour donner une dimension spirituelle à une certaine idée du nationalisme russe, et promeuvent aussi des opinions politiques pour le moins douteuses.
- Le Védisme est un mouvement néo-païen dont les premières mentions datent de 1988 dans le journal Leningradskaïa Pravda. Si certains refusent l’idéologie sur laquelle ce groupe est basé, on ne peut nier que ses fondations viennent tout autant des traditions russes que l’idéologie nazie. Leurs membres vouent un culte au Dieu Russe, et leurs rites se basent sur une idée de suprématie de race similaire au culte de la race aryenne, dont était adepte un petit moustachu que l’on connaît bien.
- La Rodnovérie (dont le nom signifie foi originelle en russe) est un groupe reconstitutionniste néo-païen slave. Les premières communautés d’adeptes de cette foi ont été constitués dans les années 1980 : leurs premiers membres faisaient souvent partie de l’intelligentsia russe, ukrainienne et biélorusse, qui n’acceptaient pas la fin du silence imposé et refusaient le retour aux traditions orthodoxes. Le retour de la foi pré-chrétienne allait de pair avec un élan patriotique et nationaliste, dont le but était de retrouver les valeurs du peuple et se rattacher à la terre.
Les rodnovériens ont aussi entretenu une vision du monde basée en partie sur du nationalisme ethnique : le peuple russe et slave est un groupe distinct, son patrimoine a des qualités supérieures, son existence est menacée et il faut se battre pour le sauver.
Dans ces deux exemples, on retrouve une idée prégnante de pureté ethnique. Certains de ces néo-païens ont fait la promotion de la ségrégation raciale, milité pour interdire les mariages mixtes, encouragé le retrait des étrangers de Russie, revendiqué des idées antisémites… Ils s’opposent à des phénomènes qu’ils considèrent comme culturellement destructeurs, tels que le cosmopolitisme, le consumérisme, le libéralisme ou la mondialisation. L’église orthodoxe russe s’inquiète de la propagation de ces groupes néo-païens. Selon le métropolite Hilarion de Volokolamsk :
“Il s’agit de courants pseudo-religieux, pas d’une renaissance de la religion de nos ancêtres. Ils se servent d’excuses pour commettre des crimes anti-orthodoxes.”
Le religieux estime que ces groupes visent plutôt à éduquer à la haine et la violence qu’à la spiritualité de nos ancêtres. Il rappelle que la Russie a été christianisée en l’an 988, et qu’on sait peu de choses sur leur spiritualité pré-chrétienne. Des vestiges sont connus, mais peu de certitudes sur les rites pratiqués à l’époque. Comment réveiller une foi interrompue il y a un millénaire ?
Quelles sont les traditions païennes dans le reste des pays de l’Est ?
Il est vrai que la question se pose. Le paganisme a-t-il disparu avec la christianisation des pays de l’Est, ou a-t-il survécu sous une quelconque forme ? On l’a vu, le chamanisme est encore largement pratiqué en Sibérie, et la préservation de ses traditions est en partie favorisée par le tourisme grandissant dans cette région. On le sait aussi, certaines traditions chrétiennes sont basées sur des croyances païennes : les oeufs de Pâques en sont un excellent exemple. Mais qu’en est-il du reste des pays slaves et caucasiens ? En voici quelques exemples.
Les croyances tchétchènes

La Tchétchénie est une province autonome de Russie, qui n’est pas reconnue comme un état à l’échelle mondiale. Son peuple est aujourd’hui majoritairement musulman, mais ses croyances ont plusieurs fois changé au cours de son histoire entre la religion chrétienne, la foi musulmane et les croyances païennes. Pour aller un peu plus loin, on peut s’intéresser à la foi des Nakhs ou Vaïnakhs, groupement de peuples qui comptent des populations situées dans l’actuelle Tchétchénie, Ingouchie et Touchétie géorgienne du Caucase Nord.
Ces peuples pratiquaient eux aussi une religion animiste. Ils adoraient les sources d’eau, les arbres fruitiers comme les poiriers et pommiers, avaient des bois sacrés et vénéraient certains animaux. Ils possédaient un panthéon divin basé sur les astres, la nature, la vie sociale, les métiers, la vie rurale… Ils pratiquaient aussi un culte des ancêtres et croyaient aux esprits. On retrouve des similitudes entre la foi Vaïnakh et mésopotamienne, surtout Hourrites.
Le festival à ne pas rater en Géorgie

Des vestiges de ces anciennes croyances se retrouvent dans certaines traditions, dont Berikaoba en est un exemple très parlant. Ce festival vieux d’environ 8 000 ans était autrefois un jour de fête, que la Géorgie entière célébrait. Berikaoba se tient aux alentours du 14 mars. C’est une célébration de l’arrivée du printemps, dans le but de s’attirer prospérité et fertilité pour la saison lumineuse, tout en célébrant le réveil de la nature. Le festival est encore pratiqué dans certains villages de Kakhétie, au nord-est de la Géorgie.
Durant les festivités, les hommes revêtent des costumes et masques de Berikas, sortes de diables, monstres ou lutins farceurs de la mythologie. Ils déambuleront ensuite dans les rues de la ville, qu’ils entreprendront de réveiller d’un joyeux chaos. Les berikas repeignent les voitures ou maquillent les passants de boue, enchaînent les farces et facéties diverses, mais aussi reçoivent des offrandes des habitants. Donner de la nourriture à un berika, c’est recevoir une sorte de bénédiction de sa part en retour, qui assurera chance et prospérité pour les reste de l’année. A la fin de la journée, le village se retrouve autour d’un supra, banquet géorgien gratuit et naturellement bien arrosé, afin de terminer d’accueillir la saison printanière comme il se doit !
Quand on parle de culture ou de folklore, il est souvent bien plus complexe de définir un pays qu’on ne le pense. Et c’est la raison pour laquelle les spiritualités et mythes qui leur sont liés sont passionnants à étudier : ils dépeignent un portrait sincère et fascinant d’un pays, tout en ombre et lumière. Dans le cas des pays de l’Est, beaucoup d’occidentaux sont persuadés que la religion principale est l’orthodoxie. Et pourtant ! La Russie la première compte aussi des croyants plus secrets, dissidents parfois jusqu’à l’extrémisme. Quand il s’agit d’un pays que l’on ne connaît pas, méfions-nous toujours des apparences et des préjugés un peu trop rapides…
Pour en apprendre plus sur les traditions des pays de l’Est, tu peux lire mon article sur Baba Yaga, ou le Supra géorgien !
Sources :
Brams.ge, Traditional ritual and christian lifestyle closely entwined in modern georgia ;
Persée, L’invention du Dieu-Lune en Géorgie, Georges Charachidzé ;
Wikipedia, Religion en Géorgie ;
Arnaudleclercq.com, L’héritage païen en Russie ;
Wikipedia, Chamanisme en Sibérie ;
Editionsladecouverte.fr, Le système religieux de la Géorgie païenne, Georges Charachidzé ;
From Rust to Roadtrip, Berikaoba : Georgia welcomes in the Spring with mud, masks and whips ;
Wikipedia, Mythologie ossète ;
Persée, Le védisme, version païenne de l’idée russe, Evgenij Moroz ;
cath.ch, Le néo-paganisme qui se propage en Russie inquiète l’église orthodoxe ;
Wikipedia, Rodnovérie ;
Charlie Hebdo, La Russie orthodoxe en guerre contre le néopaganisme ;
Wikipedia, Chamanisme ;
Theses.fr, Anciennes croyances des Ingouches et des Tchétchènes (peuples du Caucase du Nord), Mariel Tsaroieva.



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