Avez-vous déjà rencontré les créatures qui apparaissent lors des paralysies du sommeil ?
Imaginez-vous dans votre chambre. La nuit emplit la pièce, elle-même plongée dans le silence. Vous vous laissez peu à peu envahir par la torpeur caractéristique précédant le sommeil, un cadeau bien mérité après une journée difficile. Vos pensées s’apprêtent à plonger dans un vide tendrement cotonneux, quand vous vous rendez soudain compte que l’atmosphère de la pièce a changé. C’est comme si tout était devenu plus lourd, plus oppressant, plus pesant. C’est comme si une personne malintentionnée venait d’entrer dans votre chambre, comme si vous sentiez son aura négative. Vous ouvrez les yeux par réflexe, et vous rendez compte que vos membres sont paralysés. Votre respiration s’accélère, et devient difficile. Face à votre lit, une silhouette immense vous surplombe. Noire, menaçante, silencieuse. La silhouette est masculine et porte un chapeau aux larges bords. Peu à peu, vous paniquez sans vous en rendre compte, terrifié par cette incapacité soudaine à bouger. Vous êtes cloué au lit, alors que la silhouette se rapproche et se met à ramper sur vous…

Avez-vous déjà fait une paralysie du sommeil ? Ce phénomène se produit lors des phases d’endormissement et de réveil, et inflige des hallucinations horrifiques aux témoins : celles-ci peuvent être visuelles, auditives, voire même sensorielles. Ce trouble a été en partie expliqué scientifiquement dans l’histoire récente, et spoiler : il est sans danger contrairement aux apparences ! Cependant, il est constaté depuis la nuit des temps. Il est toujours fascinant d’observer comment les êtres humains remplissent le vide de l’incompréhensible avec des explications surnaturelles. En effet, si je vous dis : la paralysie du sommeil ? Vous me répondez probablement les mots incubes et succubes ! Mais saviez-vous que ces fameux démons du sommeil sont plus anciens que la chrétienté ? Connaissez-vous les autres créatures que l’on rend responsables de ce trouble de par le monde ? Aujourd’hui, laissez-moi vous embarquer dans l’exploration d’un folklore universellement terrifiant…
La paralysie du sommeil : c’est quoi ?
Symptômes et hallucinations
Avant de s’intéresser aux démons du sommeil, il est nécessaire de savoir de quoi on parle. Qu’est-ce que la paralysie du sommeil ? Tout d’abord, il est bon de savoir qu’il s’agit d’un trouble bénin (observé depuis quasiment la nuit des temps) mais impressionnant, car accompagné d’hallucinations étranges et souvent cauchemardesques. Il touche environ 30% de la population, âgée en général entre 18 et 35 ans. La paralysie du sommeil consiste en une immobilité temporaire des muscles du corps, qui survient lors des phases de réveil (état hypnopompique) et d’endormissement (état hypnagogique). Lors de ces crises, la victime est pleinement consciente de son environnement, mais ne peut ni bouger ni parler. La plupart du temps, ces phases durent quelques minutes :
- La victime est totalement paralysée à l’exception de ses muscles oculaires et respiratoires, mais peut avoir l’impression qu’elle risque de s’étouffer ;
- Elle ressent une sensation d’oppression sur la poitrine ainsi qu’une peur intense.
Ces symptômes peuvent générer de l’insomnie et de l’anxiété, car ils sont en général accompagnés d’hallucinations très intenses :
- Auditives (craquements, bruits de pas…) ;
- Visuelles (perception d’objets, de mouvements, de lumières anormales, de silhouettes…) ;
- Sensitives (impression d’une présence hostile dans la pièce) ;
- Kinesthésiques (vibrations, pression sur la poitrine, picotements électriques, sensations de chute ou de lévitation…).

Causes de la paralysie du sommeil et traitements
La paralysie du sommeil est parfois appelée cauchemar lucide, et cette qualification est tout à fait adaptée au phénomène ! Mais pourquoi ces crises arrivent-elles ? Lors de la transition entre le sommeil paradoxal et l’éveil, le corps envoie des signaux de réveil trop tôt, ce qui entraîne une absence de tonus musculaire alors que le cerveau est éveillé. Les causes de ces paralysies ne sont pas encore totalement expliquées, mais plusieurs facteurs ont été identifiés :
- Stress, surmenage, anxiété ponctuelle ou chronique, dépression ;
- Changements de vie importants ;
- Manque de sommeil, narcolepsie, nuits de mauvaise qualité, somnambulisme ;
- Syndrome des jambes sans repos, troubles de l’apnée du sommeil, trouble de stress posttraumatique ;
- Dormir en position allongée sur le dos ;
| Comment se sortir d’une paralysie du sommeil ? Plusieurs techniques peuvent exister, qui consistent globalement à apaiser son esprit pour se sortir des hallucinations. En voici un exemple : Essayez de ne pas paniquer (plus facile à dire qu’à faire, je vous l’accorde) ; Concentrez-vous sur votre respiration ; Lorsque votre respiration est plus maîtrisée, concentrez-vous sur vos orteils ou sur vos doigts pour les bouger peu à peu. Bon courage ! |
La bonne nouvelle : encore une fois, la paralysie du sommeil est sans danger ! Si vous en souffrez, un accompagnement par un spécialiste vous permettra d’identifier les causes de ces crises, et de mettre en place des solutions pour en sortir. Bien souvent, il suffit de changer ses habitudes pour mettre en place une meilleure hygiène de vie pour que les crises disparaissent.
Les démons du sommeil : les incubes et succubes
Les incubes, visites nocturnes et engeance démoniaque
Le mot incube vient du latin incubus, qui signifie “couché”. Ces créatures sont définies dans le folklore judéo-chrétien comme des démons mâles qui cherchent à abuser sexuellement des femmes lorsqu’elles rêvent ou somnolent. Leur but est de féconder les femmes agressées pour engendrer une descendance monstrueuse. A une époque, on disait des enfants aux troubles du comportement notables qu’ils étaient les descendants d’incubes. On leur attribue la paternité de figures de contes comme Merlin, ou encore Mélusine. Même s’ils sont connus pour pouvoir prendre plusieurs formes (cadavre ambulant, gnome, beau jeune homme), ils sont souvent réprésentés comme velus, hirsutes avec des pieds de bouc.
Lors de leurs attaques, les incubes ont l’habitude de s’asseoir sur la poitrine de leur victime pour l’étouffer. Ils sont mentionnés dans la Bible, Genèse VI 1-4. Des cas d’agressions sexuelles nocturnes et de possession sont rapportés depuis des siècles, par St Augustin, St Thomas d’Aquin et un ensemble de divers démonologues : selon eux, l’incube s’attaquerait sans distinction aussi bien aux nonnes qu’aux femmes mariées.

Le caractère maléfique de l’incube ne date pourtant pas d’hier : bien avant la chrétienté, on craignait déjà l’éphialtès en Grèce antique, à qui on attribuait la culpabilité de nombreux cauchemars et paralysies du sommeil. Au Moyen-Âge, l’incube a été assimilé au diable. Il est mentionné dans le Maleus Malleficarum (le manuel du petit inquisiteur) comme participant aux soi-disant orgies des sorcières pratiquées pendant les sabats.
C’est à partir du XVIe siècle que la figure de l’incube est passée du religieux au médical, puis petit à petit à la psychiatrie. Aujourd’hui, l’incube est considéré comme la représentation imaginale de troubles nocturnes liés à une déviance de la libido, et fortement liés aux phénomènes de paralysie du sommeil. Des recherches récentes classent les visites d’incubes dans les troubles érotomaniaques, proches d’autres affections comme le syndrome de Capgras ou la Folie à deux.
Les succubes, irrésistibles tentatrices venues des enfers
A l’inverse des incubes, les succubes (du latin succuba, concubine) sont décrites comme des démons femelles, qui séduisent les hommes et cherchent à abuser d’eux dans leur sommeil ou leurs rêves. Leur but serait de prélever la semence masculine, pour les mêmes raisons que les incubes, dont elles sont le pendant féminin. Dans la mythologie judéo-chrétienne, les succubes seraient connues pour prendre l’apparence d’une femme aimée défunte, pour faire croire à une résurrection et parvenir à ses fins. Les succubes seraient les servantes de Lilith, à la nature ambivalente : à la fois redoutées, et désirées.
Comme pour l’incube, de nombreuses cultures comptent une créature similaire au succube.

- En Hongrie, on raconte que les sorcières Szeged chevauchent aussi bien leurs victimes que leurs bien-aimés, et s’asseoient sur la poitrine de ceux qu’elles visitent pour les étouffer, avant de les transformer en chevaux volants.
- La littérature arabe ancienne mentionne un “démon femelle qui dérange les hommes pendant leur sommeil et les accompagne dans leur lit”. Au Maghreb, ils sont appelés al Djinns al’achiq ou djinns amoureux, qui possèdent une personne avec qui ils seraient mariés dans le monde invisible.
- En Côte d’Ivoire, on rapporte l’existence de femmes de nuit ou maris de nuit, des esprits qui prendraient l’apparence de l’être aimé pour s’accoupler avec leurs victimes dans leur sommeil. Cette possession pourrait aller jusqu’à la perte d’intérêt de la personne concernée pour les humains de chair et d’os.
Les principaux attributs du succube sont ainsi la séduction, le vol, la chevauchée nocturne, le rapport à la mort et la dévoration de la chair. Ces thématiques étaient considérées comme initiatiques dans les sociétés traditionnelles et chamaniques, mais aujourd’hui vues comme démoniaques de nos jours. Le succube est une créature très ancienne, et on peut lui voir une racine commune avec les lamies, les stryges, les vampires féminins, les sirènes, ou encore la goule mésopotamienne. De par leur caractère ambivalent, des créatures bénéfiques comme les dryades et les nymphes peuvent être rapprochées du succube.
La croyance aux unions entre les hommes et les divinités est elle aussi très ancienne : la mythologie gréco-romaine en compte de nombreux exemples. Certaines traditions chamaniques mentionnent aussi des unions charnelles avec des esprits féminins dans une optique de transmission de savoir occulte, comme les Iakoutes de Sibérie. Tout comme leur pendant masculin, les succubes ont été démonisées aux alentours du Moyen-Âge, puis sont passés du religieux au médical, et enfin à la psychiatrie et psychanalyse pour devenir les métaphore de désirs sexuels refoulés. Selon Georges Devereux et Ernest Jones, les amours surnaturelles seraient liés à des fantasmes d’inceste mère-fils.
Les créatures de cauchemar de par le monde
Un tour du monde cauchemardesque
Les incubes et succubes ne sont pas les seules créatures de cauchemar liées à la paralysie du sommeil. On l’a vu, ces démons trouvent leur origine à la Rome et la Grèce antique. Mais on leur trouve beaucoup d’équivalents dans de nombreuses cultures.

- On compte le Mahr germanique, Huckup ou Aufhocker en Europe centrale, dont le nom signifie “qui se juche sur” ;
- En Russie, le Domovoi peut s’asseoir sur la poitrine de dormeurs pour avertir d’un danger ;
- Dans les Alpes, on retrouve le Sarvan ou le Chaufhaton ;
- En Hongrie, le Lidérc ;
- En Roumanie le Zburator, un cadavre ambulant dont les pieds sont des sabots ;
- A Zanzibar, on peut croiser le Popo Bawa ;
- En Afrique du Sud, le Tokolosh ;
- Au Brésil, la Pisadeira est l’esprit mauvais d’une vieille femme laide, avec des ongles très longs ;
- Dans les Antilles, le Dorlis passe par la serrure des portes fermées pour violer les femmes dans leur sommeil ;
- Chez les Inuit, le Virsaq est l’équivalent du démon mâle, et la Nuliaqsaq est le pendant de la succube ;
- Au Tibet, un esprit nommé le Tsog Tsuam provoque des paralysies du sommeil ;
- Et bien d’autres exemples…
Dans le monde arabe, à la période de l’avènement de l’Islam, on trouve dans l’arabe littéraire le terme al-jâthom qui désigne ces crises nocturnes, les cauchemars, et un monstre similaire à l’incube. Selon le médecin John Allen, les praticiens arabes voient cet esprit agressif comme étant l’un des signes avant-coureurs d’une crise d’épilepsie. La première allusion du cauchemar incarné pourrait même dater de la Mésopotamie : la Liste Royale Sumérienne, datant de 2400 avant J.C, évoque le père de Gilgamesh en le mentionnant comme un séducteur de femmes pendant leur sommeil.
Le Kanashibari japonais
Beaucoup d’entre nous ont déjà entendu parler des yokai et yurei, esprits japonais aux caractéristiques très diverses. Le Japon est basé sur la croyance au Shinto, une croyance animiste qui attribue à chaque chose un esprit, même aux événements inexplicables. Comme on peut s’y attendre, le folklore japonais attribue une cause surnaturelle à la paralysie du sommeil : le kanashibari (kana = métal, shibari = lien), dont le nom signifie “maintenu par une étreinte de fer” est évoqué pour la première fois à l’époque de Nara (710-794), mais devient populaire à l’époque Edo (1603-1868) avec l’attrait développé par la population pour les histoires surnaturelles, les Kaidan.

On raconte à l’époque qu’une jeune fille se vit possédée il y a longtemps par un esprit mauvais dans son sommeil. Elle dût subir alors un rituel de purification mené par son père, attachée et étouffée pour faire partir le démon. Le père réussit, mais sa fille mourut. Depuis, elle est devenue un yurei qui réclame vengeance et veut faire subir le même sort à ses victimes. La plupart du temps, le Kanashibari est représenté par l’esprit d’une vieille femme au visage terrifiant, qui se déplace sur la pointe des pieds, comme si elle glissait sur le sol.
Cette légende a pris une plus grande ampleur dans les années 1990, avec le boom des légendes urbaines. A l’époque, beaucoup de japonais ont témoigné avoir rencontré ce yurei, qui a même connu quelques variantes : dans la préfecture d’Iwate, on raconte que le Kanashibari happe sa victime dans son sommeil pour la traîner jusqu’à une fenêtre et la jeter dans le vide ou dans une rivière… On retrouve beaucoup de références à cet esprit mauvais dans la pop culture, notamment dans le film Ju-On de Takashi Shimizu, sorti en 2003.
La paralysie du sommeil est un trouble à la fois bénin, profondément mystérieux et horrifique. Comme de nombreux autres syndromes tels que celui de Capgras, du membre fantôme ou de Cotard, il nous ramène à ce fait passionnant : il existe une zone d’inconnu, caractérisée par son absence de règles, son imagerie hostile et infinie. Et cet inconnu terrifiant, il se trouve en nous ! Il apparaît lorsque le cerveau dysfonctionne, quand sa machine si complexe se grippe pour une raison ou pour une autre.
Ce pays monstrueux, il touche à notre imaginaire. Et l’être humain est mû par deux besoins fondamentaux : croire et comprendre. La paralysie du sommeil, comme beaucoup d’autres phénomènes impossibles à expliquer à une époque, ont donné lieu à un riche folklore surnaturel, profondément ancré dans nos croyances encore aujourd’hui, qui a permis de mettre des mots sur un trouble que l’on ne pouvait pas encore définir. Et que les incubes ou les succubes existent réellement ou pas (à vous de décider), ces créatures de cauchemar nous ont au moins offert un terrain d’exploration mythologique passionnant, qui a donné naissance à un grand nombre d’oeuvres de fiction à travers les siècles…
Si vous voulez découvrir d’autres créatures terrifiantes, je publie régulièrement des petites vidéos sur instagram et tiktok ! N’hésitez pas à me suivre 🙂



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